Al Root,



Barron's





NEW YORK (Agefi-Dow Jones)--Société d'aérospatiale la mieux valorisée au monde, SpaceX pourrait être la clé qui permettra à Elon Musk d'ouvrir son empire.



Deuxième fortune mondiale, Elon Musk est à la tête d'un patrimoine estimé à environ 180 milliards de dollars, soit la valeur cumulée de ses participations dans Tesla, SpaceX, Neuralink, the Boring Co. et Twitter, entre autres. Le problème, car il y en a un, c'est qu'à l'exception de Tesla, aucune de ces entreprise n'est cotée, donc liquide. Lorsqu'Elon Musk a besoin d'argent, sa seule option est de vendre des actions Tesla. Ce qu'il a fait entre avril et décembre 2022, lorsqu'il a dû céder pour quelque 23 milliards de dollars d'actions Tesla afin de maintenir Twitter à flot, et ce qui explique que le titre Tesla ait plongé de plus de 50% sur cette période. Le milliardaire a en réalité besoin d'une autre société cotée qui lui permettrait de débloquer une partie de sa fortune - et de diminuer ainsi la pression qui s'exerce sur Tesla.



C'est là que SpaceX entre en jeu. Qualifier l'entreprise de folle réussite serait un euphémisme. SpaceX envoie des astronautes dans la Station spatiale internationale (ISS), place des satellites Starlink en orbite et a même redynamisé le programme spatial jusqu'à alors moribond des Etats-Unis au point de le remettre à la première place des lancements mondiaux. Ses activités commencent en outre à être rentables. Chaque lancement pourrait rapporter entre 150 millions et 300 millions de dollars de chiffre d'affaires et Starlink arborait à la fin 2022 un million d'abonnés. Une introduction en Bourse (IPO) n'est pas hors de propos et pourrait même répondre aussi bien aux besoins d'Elon Musk qu'à ceux des actionnaires de Tesla.



"J'ai du mal à comprendre que le conseil d'administration ait autorisé Elon à faire plonger le cours de Tesla", indique Leo Koguan, troisième investisseur individuel de Tesla, après Elon Musk et Larry Ellison, le co-fondateur d'Oracle. "Pourquoi ne pas vendre des titres SpaceX ?"



Pourquoi pas, en effet. SpaceX devance la concurrence de plusieurs années-lumière. Actuellement, l'accent est mis sur le système de lancement Starship, le plus vaste jamais construit, avec une capacité d'emport plus de deux fois plus importante que celle du système SLS de l'agence spatiale américaine (NASA) inscrit dans le programme Artemis, dont l'objectif est d'envoyer des astronautes sur la Lune. Starship est le premier système conçu pour être entièrement réutilisable, alors que le système actuel de SpaceX ne permet de réutiliser que l'étage inférieur du lanceur. Le succès de Starship permettrait d'augmenter la charge utile et de faire baisser les coûts, ce qui améliorerait la compétitivité de Starlink et d'autres activités aérospatiales.



"Nous pensons qu'une satellisation de la fusée Starship constituerait, pour le développement de l'économie spatiale, l'événement le plus important depuis le lancement de Spoutnik en 1957", souligne Scott Deuschle, analyste de Credit Suisse, ajoutant qu'une bonne association des facteurs taille, réutilisation et facilité de production pourrait diviser par 30 le coût de mise en orbite basse.



Apprendre de ses échecs



Le premier vol test intégré de la fusée Starship, non habité et avec tous les étages, s'est soldé par un "désassemblage rapide et imprévu", selon le jargon utilisé par SpaceX pour désigner une explosion. Un échec n'est pas forcément une mauvais chose. SpaceX a lancé plus de 220 fusées au cours de ses 21 ans d'existence, dont plusieurs ont explosé avant que la technologie permettant de les réutiliser soit maîtrisée. Cette stratégie de développement et de réutilisation est très différente de la stratégie perfectionniste déployée par United Launch Alliance, une coentreprise de Boeing et Lockheed Martin, qui a pour effet d'augmenter les coûts et de ralentir le développement. L'industrie spatiale traditionnelle ne réutilise toujours pas les fusées et United Launch Alliance reste essentiellement au service du gouvernement américain.



Cette méthode consistant à flirter avec l'échec fonctionne pour SpaceX. Depuis sa création, la société a dû dépenser environ 10 milliards de dollars, grâce auxquels elle dispose maintenant d'une constellation de quelque 4.000 satellites, véhicules et lanceurs réutilisables, ainsi que de son propre site de lancement à Boca Chica, au Texas. La NASA, de son côté, a consacré plus de 11 ans et 20 milliards de dollars au développement de SLS, qui a démarré à peu près à l'époque où sa coûteuse Space Shuttle a été mise à l'arrêt. Le système SLS est plus puissant que le lanceur qui a emmené les premiers astronautes sur la Lune, mais il n'a réalisé qu'un seul vol depuis le début de son développement en 2011. SpaceX a pour sa part propulsé 61 fusées en 2022.



"SpaceX a montré qu'une stratégie d'échecs et d'essais était bien moins coûteuse et plus efficace que le processus habituel de développement spatial", explique Hélène Huby, cofondatrice de The Exploration Co., qui construit des capsules réutilisables.



Les nouveaux arrivants dans le secteur peinent à suivre le rythme. Virgin Orbit, la société de lancement de satellites de Richard Branson, s'est déclarée en faillite en avril, et l'action Virgin Galactic, la société de tourisme spatial du milliardaire, a plongé de 92% depuis le pic atteint en février 2021. Des entreprises comme Momentus, Astra Space et Spire Global, qui sont entrées en Bourse par le biais de fusion avec des véhicules d'investissement cotés (Spac) en 2021, s'échangent toutes à moins de 1 dollar par action. Même Blue Origin, fondé en 2000 par Jeff Bezos et qui vient de remporter un contrat auprès de la NASA pour développer un nouvel alunisseur, mettant ainsi fin au monopole de SpaceX dans ce domaine, n'a jamais réalisé de voyage orbital.



La pépite Starlink



Par ailleurs, Starlink, l'activité de Wi-Fi spatial de SpaceX, compte des milliers de satellites en orbite autour de la Terre qui fournissent des services d'Internet haut débit pour environ 110 dollars par mois. L'échelle et la croissance de Starlink devrait lui permettre de dégager un chiffre d'affaires d'environ 1,8 milliard de dollars en 2023, soit deux fois celui de 2022. Et de toutes les activités non cotées d'Elon Musk, Starlink est celle qui semble la plus à même de devenir indépendante. Elon Musk lui-même l'a reconnu en 2021, en déclarant qu'il pourrait introduire Starlink en Bourse lorsque ses flux de trésorerie seraient prévisibles - ce qui semble justement devenir le cas.



La décision d'une introduction en Bourse dépendra globalement du montant qu'Elon Musk peut espérer collecter auprès des investisseurs. Même si SpaceX a été valorisé à 137 milliards de dollars lors de son dernier tour de table, l'action ne s'échange plus aussi fréquemment sur les plateformes spécialisées dans les titres non cotés. Rainmaker Securities, par exemple, a facilité pour plus de 4 milliards de dollars de transactions de titres SpaceX en plus de cinq ans. Or le patron de Rainmaker, Glen Anderson, a observé récemment une tendance assez déroutante : les titres ne s'échangent plus. "Voilà encore six mois, si nous avions un bloc SpaceX, il se vendait en deux ou trois jours", explique-t-il. "Là, nous avons des blocs SpaceX en réserve depuis deux mois."



Difficile de savoir précisément ce qui a changé. Le coupable le plus facile à désigner est le marché. L'indice Nasdaq Composite a perdu 20% par rapport à son point haut, la Réserve fédérale (Fed) ayant relevé ses taux d'intérêt pour tenter de maîtriser l'inflation. Or c'est sur les actions les mieux valorisées que la hausse des taux a généralement le plus d'impact. SpaceX n'est certes pas coté en Bourse, mais il s'agit d'une entreprise de croissance et les valorisations du non coté sont elles aussi sensibles aux décisions de la Fed.



Une valorisation difficile à déterminer



Il est donc encore plus difficile d'estimer combien vaudrait Starlink en cas d'introduction en Bourse. A environ 140 milliards de dollars, SpaceX vaut moins que Boeing, qui arbore une valorisation d'environ 170 milliards de dollars, dette et fonds propres inclus. Le montant est impressionnant, même pour une entreprise qui a perfectionné les fusées réutilisables, fait baisser le coût des vols dans l'espace, restauré le leadership spatial que l'Amérique avait abandonné à la Chine, acheminé des astronautes de la NASA vers la Station spatiale internationale et lancé un service de Wi-Fi spatial qui compte maintenant, selon les estimations, 1,2 million d'abonnés.




Starlink a peu d'équivalents. Il y a bien HughesNet, détenu par EchoStar, qui compte 1,2 million d'abonnés Wi-Fi. Dans son intégralité, l'activité d'EchoStar, qui inclut aussi des services de satellites vendus au gouvernement et aux organes de presse, est valorisée à 1,3 milliard de dollars et le titre s'échange sur un multiple d'environ 23 fois les résultats attendus pour 2023. Néanmoins, HughesNet n'affiche aucune croissance - une différence de taille par rapport à SpaceX, qui ne vaudrait pas 140 milliards de dollars si le nombre d'abonnés à Starlink était proche d'un pic.



Verizon Communications constitue peut-être un meilleur point de comparaison. Le groupe de télécommunications, avec ses 143 millions d'abonnés, est valorisé à 335 milliards de dollars, dette et fonds propres inclus, ce qui représente environ 2.300 dollars par abonné. Sur la base de ce calcul, il faudrait que Starlink attire 50 millions à 60 millions d'abonnés pour justifier la valorisation totale de SpaceX. Mais même cette comparaison est imparfaite, dans la mesure où elle ne tient compte ni du coût de construction du réseau Starlink, ni de la rentabilité potentielle du service, ni de l'éventuelle capacité du groupe à faire sensiblement baisser le coût d'accès à l'internet haut débit.



Malgré ces incertitudes, Starlink est l'activité que les investisseurs sont le plus susceptibles d'acheter à court terme. SpaceX prévoit de déployer une constellation de quelque 30.000 satellites pour proposer son service Wi-Fi, dont la seule construction pourrait coûter jusqu'à 10 milliards de dollars, selon les estimations de prix actuelles, et une augmentation de capital semble probable. SpaceX n'a pas répondu aux multiples demandes de commentaires. Une introduction en Bourse, même valorisée à 70 milliards de dollars - en partant de l'hypothèse que Starlink vaut la moitié de SpaceX - permettrait à Starlink de lever les fonds nécessaires sans devoir recourir à un nouveau tour de table privé.



Cela permettrait également à Elon Musk, qui détient environ 42% de SpaceX, de débloquer quelque 30 milliards de dollars et de pouvoir vendre des actions d'une autre société que Tesla au moment de payer ses impôts ou d'acheter une plateforme de réseau social.



Pour les actionnaires de Tesla, il s'agirait d'une introduction en Bourse réussie, quelle que soit la valorisation.



-Al Root, Barron's (Groupe Dow Jones)



(Version française Emilie Palvadeau) ed: VLV



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(END) Dow Jones Newswires



May 23, 2023 05:22 ET (09:22 GMT)




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